Catégorie : Chroniques
Du moment où les tribunes sont clairsemées à celui où elles seront remplies et bruyantes, il y en aura eu des rebondissements.

Du moment où l'odeur des grillades matinales sera remplacée par celle des pastis sucrés, il y en aura eu des commentaires.
Du moment où l'arbitre donne les premières consignes de la journée à celui où il désignera le grand vainqueur, il y en aura eu des coups joués.

Une journée de finale de Championnat de France est vraiment un moment à part...

Ce jour là, on le sait, il y a du public.
Les tireurs sont accompagnés de leur piteur de plomb. Celui-là, c'est le gars sérieux du club. Celui qui vérifie son plomb jusqu'au dernier moment mais également l'alignement des quilles avant la rebattue. II a un rôle important et il le sait. D'ailleurs il parle très peu et surtout pas pendant que " son " tireur s'exécute. II suit la boule des yeux pour mieux l'accompagner et serre les dents pour la retenir si elle roule le long de la fameuse ligne. II applaudit la rebattue à cinq quilles et accepte celle à quatre quilles en disant l'éternelle phrase : " quatre c'est pas une faute, continue, c'est bien ".
II y a aussi les copains du club dont quelques-uns sont même concurrents. C'est une situation particulière car un jour de finale tout le monde joue le titre. Certes, après quelques coups, certains savent qu'ils passeront plus de temps à table que sur le quiller mais avant cela, tout le monde y croit. Les autres, les copains qui ne jouent pas, encouragent. Ils ont déjà mangé la ventrèche et bu le rosé. Le café viendra aussi... mais pourquoi pas après un deuxième rosé car " il est bien bon aujourd'hui ". Assis dans les tribunes ou se déplaçant au gré de la rambarde pour discuter avec les uns et les autres, ils applaudissent sportivement les jolis coups de "ceux des autres clubs" et encouragent par la voix les bons de leur favori. Respectueux et connaisseurs, ils se taisent pendant le balancement pour reprendre aussitôt le fil de la phrase laissé en route dès la boule en l'air. Distraits, ils oublient parfois de régler leur volume de voix et une recommandation polie mais impérative s'élève du corps arbitral ou du marqueur pour les inviter à régler les basses. Confus, ils acquiescent.
A côté des copains on trouvera les proches. Les épouses d'abord. Elles sont attentives et tout le monde les connaît car elles suivent depuis longtemps le mari joueur. Elles aussi bavardent mais toujours en sourdine pour ne pas gêner ces messieurs qui jouent concentrés. Au moins, s'il fait faux ce ne sera pas de leur faute. Certaines, serait-elles superstitieuses, ne regardent quand leur mari s'exécutent ?
II y aussi les mamans qui sont inquiètes, toujours souriantes, souvent silencieuses. Au contraire des épouses, elles connaissent moins de monde et viennent exceptionnellement ce jour là parce que le fiston est en finale.
Bien sûr, il y a des papas. Eux par contre ils interviennent. Fiers de leur fils, ils le conseillent : " pense à ton pied de derrière "... " c'est rien... le joker il est fait pour être pris allez!", ils peuvent aussi piter les plombs. De toute façon, il y aura toujours une tape sur l'épaule après le saut au cor. Elle sera compatissante si le résultat est moyen, plus appuyée et suivie d'un encouragement si le coup est jouable pour le titre.

Et cette année, il y a eu le fiston. Pas celui de 17 ou 20 ans qui joue déjà aux Quilles. Non, celui de 5 ou 6 ans, qui bondit entre les jambes des gens. Qui se ballade dans les bras connus du papa quillous, de la maman ou des copains du club venus animer les tribunes. Ce fut Raphaël de Monein. A Castelnau, il fut malicieux mais bon joueur car il prit bien soin de couper l'électricité en plein tir ...d'un Moneinchon. Résultat, stupéfaction puis rire général. Le coup était réussi à un détail près : ce fut Raphaël finalement qui eut le plus peur !

Les amateurs de finales sont là également. Ceux-là ne sont pas qualifiés mais ils savent que ce jour là il y a du spectacle sur le quiller...et en dehors.
Ils arrivent tout doucement, en cours de matinée, vers 10 heures, juste à temps pour profiter d'un dernier casse-croûte avant que les dernières braises s'éteignent. Ils saluent tout le monde de la main et serrent les premières mains à portée. Ils mettront du temps à regarder le tableau parce qu'avant il y aura toujours quelque chose à dire à quelqu'un ou quelques nouvelles à demander sur les absents. Finalement ils regarderont le tableau et le premier commentaire fuse : " oh ...il va falloir tirer aujourd'hui pour se qualifier.. " ... " c'est serré cette année... " ... " ...et il n'y est pas cette année le type de Castelnau ?... ".

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Le matin, du premier quillous qui tire devant un public encore épars au dernier qui joue devant la foule des grands jours, la compétition change progressivement de physionomie. Dès la deuxième série, les calculs démarrent et les premières conclusions sont tirées
" il va pas s'en faire beaucoup aujourd'hui " ... " ça roule, il est sec, ça va se jouer à la rabattue " ... " Hummm...avec 70 ça va être juste " ... " les derniers devront être forts pour passer "...
La quatrième série sera celle de la confirmation ou de la surprise. Le quatuor qui a dominé les qualifications est attendu car il va conclure les premiers débats. A la fin des courts, les machines à calculer fonctionnent à plein régime et les estimations vont bon train. Bizarrement, certains coups de boule deviennent courts alors que d'autres tombent à point ou jouent de chance pour aller chercher la " cinquième quille " inespérée et souvent improbable. Celle qui transforme le vilain coup en accessit pour la finale. Chaque joueur aura quand même droit à sa salve d'applaudissement après l'ultime saut?au?cor.
Et là, les regards se tournent vers le tableau car si les trois premiers sont connus, il peut y avoir calcul pour les deux derniers. Les arbitres en chemise blanche ne doivent pas se tromper car autour d'eux certains ont déjà fait les comptes et quelques rumeurs de règlement s'échappent
" de toute façon c'est lui, il en a plus aux courts ...
- c'est pas les courts qui comptent
- ah bon, c'est plus comme avant ?
- et non, c'est à partir des sautes rues... ?
- ah bon ? Alors qui c'est qui passe... ?
- c'est lui... "

Poignées de main. Sourires. Confirmation. Déceptions. Commentaires. Rires. Exclamations ...Apéritif !!!
Enfin l'apéritif. Les finalistes en boivent bien sûr mais pas trop quand même. Le piteur de plomb se lâche un peu plus. Les accompagnateurs, eux, enchaînent du rosé au jaune. Un Porto sera bienvenu pour les épouses et les mamans. Les serveurs du coin sont pris à partie de toute part et ne ménagent par leurs efforts. Dire qu'après ils embrayent directement sur le repas pour les 130 convives !

Autour du comptoir les clubs se mélangent et ça parle, ça parle, ça parle. On refait les qualifications du matin. On dit ses regrets au favori qui méritait tant mais qui ne passe pas. On félicite celui quia créé la surprise et qui ne revient toujours pas de son batte-neuf droit qui est resté alors que " c'est pas son jeu ". On expose son étonnement à celui qui n'a pas fait une rabattue à quatre et qui devrait être en finale avec autant de bons. Lui non plus ne comprend pas. Pourtant la veille, il avait bien joué. Tant pis. L'année prochaine peut-être.

Puis on passe à table. Et là, oh miracle, les clubs se retrouvent entre eux. La dispersion de l'apéritif fait place au rassemblement entre collègues. Les prévenants ont couché leurs chaises pour réserver les places. Le vin est sur la table. La soupe va arriver mais on mange du pain quand même parce que les émotions ça donnent faim. Le brouhaha cède la place au cliquetis des couverts et au son délicat des aspirations de fond de cuillères ...(dire qu'à la maison on se ferait engueuler parce qu'on fait du bruit en mangeant !).
Les plats s'enchaînent le volume sonore reprend de la vigueur. Une chanson s'élève. Ce n'est pas un hasard, elle vient de Monein.
Le Président local se lève alors et demande le silence. Qu'il obtient. Au bout de cinq minutes. II remercie, souhaite plein de bonnes choses, sollicite des applaudissement pour les bénévoles qui assurent le bon déroulement de la journée puis, protocole sportif oblige, cède la parole au Président national qui à son tour s'efface devant l'arbitre pour l'annonce des résultats.
Et là, paradoxe. L'applaudimètre ne sera pas forcément plus fort pour les finalistes. C'est la cohorte accompagnatrice des joueurs qui fera la différence. Cette année, Arboucave, Monein, Pomps et Oloron se sont livrés une belle bataille à ce jeu là.

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La finale est un beau moment de respect. Chaque joueur bénéficie de la même attention par le public. Le bruit n'est pas de mise. Par contre, la tension existe bel et bien. En effet, la particularité d'un public de quillous est simple : chaque spectateur connaît le jeu ...et donc l'enjeu. Les joueurs aussi sont connus par les spectateurs. On connaît les nerveux et les calmes, les concentrés et les papillonneurs, les émotifs et les solides, les muets et les blagueurs. Par contre, ils ont tous un point commun : quand le titre est à portée, ils deviennent tous gagneurs. C'est là que la tension intervient, que les visages se ferment et que les mots se font plus rares. Pour certains, piter la quille devient un problème. Pour d'autres, ce serait plutôt lâcher la boule qui devient difficile. Le nombre de balancement augmente. Certains plombs sont repités trois fois. Sur les coups importants, notamment pour les longs, les bons ne sont pas applaudis, ils sont ovationnés, comme si le public avait lui aussi besoin de lâcher un peu de pression.
Enfin, quand le dernier coup sacre le champion, le soulagement arrive. Les sourires illuminent les visages et les premières poignées de main sont savoureuses ...et savourées. Le champion n'est pas prolixe, il dit " merci", c'est tout. Pas d'accolades ou d'acrobaties fantasques. Non, que du vrai et du simple. Des remerciements. Sincères. Joyeux et mesurés. Aussi naturels qu'une bonne vieille rabattue à cinq quilles ...quoiqu'un jour de finale...ce n'est pas évident.

Jean-Pierre ARANJO

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